À gauche, Gabrielle Chanel dans sa suite de l’hôtel Ritz à Paris devant l’objectif de François Kollar (Photo © ministère de la Culture) pour la première campagne publicitaire américaine du N°5 dans Harper’s Bazaar, en 1937. D’autres femmes après elle, prendront le relais : Lauren Hutton, Ali Macgraw, Candice Bergen, Catherine Deneuve, Suzy Parker, Carole Bouquet, Nicole Kidman. Et Brad Pitt, en 2012, prononçant un nouveau mot clé : « inévitable ». A droite, la photo mythique, fortuite, de Marylin Monroe se parfumant de Chanel N°5 avant la première de la pièce de théâtre « Une chatte sur un toit brûlant » de Tenessee Williams en 1955. L’année précédente, l’actrice américaine confia, lors d’une interview, ne porter que « quelques gouttes de N°5 » pour dormir. Sans doute la plus belle publicité mondiale du parfum (Photo Ed Feingersh © Michael Ochs Archives / Getty Images). En 1964, le flacon iconique inspirera aussi le roi du pop-art, Andy Warhol.

N°5 de Chanel : le storytelling

dans Mode , à 23 août 2019

PARIS, 2 AVRIL 2013, Lorsque Gabrielle Chanel charge Ernest Beaux, qu’elle a rencontré à Grasse en 1920, d’imaginer pour elle un parfum, cherche t-elle à travers cette mission ce que Proust nomme une « réminiscence » : le souvenir chéri d’un amour interrompu violemment, celui d’Arthur Capel, « Boy », mort accidentellement fin 1919 ? Celui-ci lui a transmis un goût prononcé pour la littérature et l’ésotérisme. Après sa disparition, elle poursuit son dialogue sentimental avec lui à travers les livres qu’il lui a fait découvrir, s’attache aux signes et aux chiffres qu’ils partageaient… Pour mieux s’éloigner du deuil, elle se laisse entraîner à Venise qui la séduit, devient un de ses lieux de prédilections et d’inspiration. Tout comme elle rêve de la Russie que le Grand Duc Dimitri Pavlovitch lui dépeint… Cette Russie nourrit justement l’imaginaire olfactif d’Ernest Beaux qui a servi à la cour des tsars avant de s’exiler en France, chassé par la révolution. Le parfum qu’il va imaginer pour Gabrielle Chanel sera une révolution, olfactive.

Ensemble, ils ont décidé d’inventer « un parfum de femme à odeur de femme », comme elle se plaît à le définir… Pensé comme une robe de couture, N°5 veut s’affirmer comme une véritable abstraction, un manifeste, en rupture avec les fragrances en vogue qui n’évoquent le plus souvent qu’une senteur figurative (la rose, le jasmin, le lilas) : aucune note dominante identifiable ne se dégage des quatre-vingts composants qui le constituent.

Quand Gabrielle Chanel respire le flacon, dont on prétend qu’il contient la cinquième proposition d’Ernest Beaux, elle sait qu’elle tient là un mythe : une fragrance née d’un désir, d’une évocation et d’une absence, un parfum universel, éternel, de légende, qui va largement contribuer à la sienne.

Pour son parfum de fleur mystérieuse, Mademoiselle Chanel prend soin de choisir un intitulé des plus sobres défiant encore une fois les conventions : N°5. Ce simple matricule, dénomination de laboratoire, est aussi son chiffre porte-bonheur.

La même rigueur minimaliste s’appliquera à l’habillage : l’intitulé singulier et le double C qui le signe, une étiquette presque pharmaceutique, un flacon carré au tracé net, glissé dans un emballage de papier gros grain blanc gansé de noir, dont l’élégance fait écho à la ligne épurée qu’elle impose à travers ses créations de mode. Mademoiselle Chanel sait que cette radicalité la projette à l’avant-garde de son temps : N°5 va connaître le destin d’une icône de la modernité.

Le lancement du premier parfum Chanel, vendu dans les boutiques de Paris, Deauville, Cannes et Biarritz, connaît un succès immédiat. La demande est telle que la fabrication  n’arrive pas à suivre. En 1924, Mademoiselle Chanel signe un accord avec Pierre et Paul Wertheimer, propriétaires de la maison Bourjois, fondant la société Parfums Chanel qui va diffuser N°5 partout dans le monde.

« Symbole de l’univers d’élégance, de luxe et de modernité, N°5 de Chanel demeure, 90 ans après sa création, l’un des parfums les plus prestigieux et achetés au monde » rappelle la Maison de la rue Cambon dans le dossier de presse de l’exposition «  N°5 Culture Chanel » organisée au Palais de Tokyo, à Paris, du 5 mai au 5 juin 2013. L’événement décrypte en particulier le contexte créatif qui a entouré sa naissance, celui des artistes avant-gardes, cubistes, dadaïstes, surréalistes, si chers à Mademoiselle Chanel.